L’expertise géospatiale : un facilitateur indéniable pour le suivi opérationnel des objectifs de développement durable
14 mars 2022
Les rapports successifs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) mettent manifestement en évidence les impacts majeurs des activités anthropiques sur les changements climatiques et, plus globalement, sur le dérèglement des grandes dynamiques planétaires. L’ampleur de ces dérèglements, et surtout de leur accélération, est telle qu’ils constitueraient une nouvelle force géologique capable de marquer l’écosystème terrestre et de provoquer des déséquilibres significatifs.
Dans la continuité des objectifs du millénaire, les États membres des Nations Unies ont adopté, en 2015, après deux années de négociations, 17 objectifs de développement durable (ODD), rassemblés sous le chapeau de l’Agenda 2030 (Fig. 1). Ce dernier propose ainsi 1691 cibles, communes à tous les États engagés, à atteindre à l’horizon 2030. Les ODD s’articulent autour des grands enjeux planétaires, lesquels offrent justement des leviers et des perspectives plus inclusives : éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes et dans tous les pays; protéger la planète; et garantir la prospérité pour tous. Ensemble, ils correspondent aux trois piliers du développement durable.
Bien que les ODD demeurent encore peu connus du grand public, les difficultés d’opérationnalisation locale de ces objectifs, de nature plutôt « macro », demeurent considérables, et ce, malgré le déploiement récent, par les Nations Unies, d’une série d’actions simples, d’une application mobile et même d’un chatbot à l’intention du grand public.
Fig.1 — Les 17 Objectifs de développement durable (Source : Nations Unies)
Les données géospatiales au cœur des Objectifs de développement durable
Sur cette question des échelles de mise en œuvre et de suivi des ODD, l’expertise et les données géospatiales jouent un rôle essentiel. À y regarder de près, la majorité des ODD et des cibles qui leur sont associées sont de nature spatiale ou a minima, et nécessitent, pour être appréhendés de façon efficace, une remise en perspective géographique. À deux niveaux au moins, la technologie géospatiale constitue un levier incontournable de suivi opérationnel des Objectifs de développement durable.
Intégration multiscalaire
Les enjeux relatifs aux données géospatiales sont ici de deux ordres : la disponibilité de données de qualité et l’intégration de données multisources et multiéchelles (appariements). Bien entendu, les données matricielles (imagerie, lidar, etc.) s’imposent immédiatement dès lors qu’il s’agit d’assurer le suivi de phénomènes spatiaux continus, en particulier à petite échelle (météo, qualité de l’air, pollution atmosphérique, mais aussi ressources et courants marin, ou encore incendies, îlots de chaleur et inondations). Concernant ce dernier thème, l’équipe de Karem Chokmani, professeur de télédétection et hydrologie à l’INRS, a conçu et développé la technologie géospatiale associée à E-NUNDATION, une méthode innovante visant à simplifier et à faciliter l’accès à « l’information générée par les modèles hydrologiques et hydrauliques » pour les gestionnaires des risques d’inondation aux différents paliers du gouvernement (État, région, municipalités, villes, communautés, etc.). Cette technologie est aujourd’hui diffusée par l’entreprise Geosapiens, qui est incubée par l’INRS. Geosapiens propose une offre de service géospatiale bien positionnée dans le secteur de l’assurance, lui permettant en particulier de produire des modèles d’évaluation des risques d’inondation sur la population et les infrastructures.
Les combinaisons de données de nature vectorielle et géostatistique constituent également des moyens de suivi multiscalaire essentiels. Sur ce plan, l’écosystème de partenaires de Korem (Environics Analytics, Foursquare, HERE Technologies ou encore Precisely) offre une variété de données très riches, telles que les données parcellaires, statistiques, démographiques, de segmentation, de consommation et sur les lieux (p. ex. points d’intérêt). Ces données sont capables d’alimenter des indicateurs de suivi des ODD à différentes échelles géographiques et de caractériser les cibles : transports et flux, mobilités et santé, consommation responsable, croissance économique, justice spatiale, etc. (Fig. 2).
Fig.2 — Écosystème des données de Korem et ODD
Cartographie d’indicateurs de suivi
Les Nations Unies publiaient récemment 17 cartes pour 17 objectifs permettant d’illustrer, pour chacun des ODD, la pertinence du suivi cartographique des principaux indicateurs. Ces illustrations s’inscrivent dans la continuité du travail colossal produit par une équipe de l’Association cartographique internationale (ICA) et en collaboration avec les Nations Unies dans le contexte de l’ouvrage Mapping for a sustainable world.
La construction d’indicateurs de suivi des cibles par agrégation multivariée, regroupement et classification contraintes spatialement compte certainement parmi les méthodes les plus utiles pour assurer un suivi (monitoring) des ODD aux échelles locales (grandes échelles), tout en maintenant la possibilité de remise en perspective cohérente à des échelles plus macros (petites échelles). C’est l’un des principaux objectifs du projet d’observatoire canadien de la gouvernance locale des ODD qui est porté par l’Institut en environnement, développement et société (EDS) de l’Université Laval et financé par le gouvernement fédéral (Fig. 3). Ce projet s’inscrit dans la logique des travaux déjà réalisés à Winnipeg par l’International Institute for Sustainable Development, en particulier de la conception de Tracking Progress, un outil dédié à la mobilisation des données locales pour la mise en application des ODD.
Fig.3 — Cadre d’observatoire des ODD (Source : Institut EDS)
Les entreprises géospatiales québécoises donnent l’exemple
Il y a une dizaine d’années déjà, le Bureau de normalisation du Québec éditait la Norme BNQ 21000, qui vise à encourager et à faciliter la prise en compte et l’application des principes de la Loi sur le développement durable dans les organisations québécoises. La Méthode BNQ 21000 qui lui est associée propose des outils nécessaires à la mise en œuvre d’une culture de développement durable. La BNQ 21000 repose en particulier sur la mise en correspondance des 21 principaux enjeux d’affaires « micros » (vision, mission et valeur; éthique d’affaires; gouvernance; conditions de travail; santé et sécurité; etc.) avec les 16 principes « macros » (santé et qualité de vie; solidarité et équité; accès à la connaissance; prévention; précaution; production et consommation responsable; préservation de la biodiversité; etc.) de la Loi sur le développement durable, basée sur RIO 1992. Des travaux faits en collaboration avec une équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke sont en cours, de manière à mettre à jour la BNQ 21000 en associant, cette fois, les enjeux d’affaires aux 17 ODD.
Dans ce contexte, Korem agit à deux niveaux.
Tout d’abord, d’un point de vue entrepreneurial : Korem place la responsabilité sociale au cœur de sa mission et de ses actions. L’implication dans la communauté et l’engagement philanthropique, mais aussi l’engagement explicite en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, constituent des valeurs centrales de l’entreprise. Korem est aussi soucieuse de minimiser son empreinte environnementale et s’engage à promouvoir la sobriété numérique. L’ensemble des employé.e.s se mobilise au quotidien en posant des gestes écologiques, équitables et durables. Korem a saisi l’occasion du contexte pandémique actuel non seulement pour repenser en profondeur les modalités de travail, la conciliation travail-famille et le cout écologique des déplacements, mais également pour recomposer et réaménager la totalité de ses espaces de travail en fonction de nouveaux usages dans une perspective post-COVID, de manière à considérer les nouvelles réalités (télétravail, mode hybride, mobilité, etc.).
Elle a aussi agi du point de vue de ses mandats, en particulier dans les domaines du transport, du commerce de détail ou de l’énergie, dans lesquels Korem déploie sa gamme d’expertises géospatiales et de produits dans une perspective durable et consciente de l’importance d’articuler prospérité économique, justice sociale et respect de l’environnement. L’exemple du mandat réalisé pour Les Rôtisseries St-Hubert Ltée un peu avant la pandémie est d’ailleurs significatif. Grâce à la migration vers une nouvelle solution de géolocalisation infonuagique de sa plateforme de commande en ligne, St-Hubert a pu accroitre son taux de correspondance à 96 % sur le Web et n’a plus d’enjeux de performance depuis. Ce faisant, non seulement Les Rôtisseries St-Hubert ont amélioré leur service client de manière significative et ont ainsi pu faire face aux impacts de la pandémie, l’entreprise a aussi pu optimiser les déplacements de ses véhicules de livraisons (optimisation des routes, élimination des erreurs de livraisons, etc.). Cela correspond à un point non négligeable alors que Saint-Hubert investit justement en vue d’assurer la carboneutralité de ses opérations.
Vous reprendrez bien un peu de géospatial dans vos ODD
Les 17 objectifs de développement durable (ODD) et les 169 cibles associées constituent un appel à l’action lancé par tous les états membres des Nations Unies dans le but de promouvoir un développement prospère et juste, tout en protégeant la planète et ses écosystèmes. De nombreuses cibles sont liées directement ou indirectement à des secteurs et à des domaines d’activités dans lesquels l’expertise géospatiale constitue un ingrédient essentiel : transport, énergie, aménagement, développement économique, etc. Il est donc non seulement important que tous les acteurs du domaine géospatial considèrent les ODD dans leur pratique, mais aussi que les décideurs et gestionnaires, quelles que soient leurs échelles de responsabilité, reprennent un peu de géospatial dans leurs ODD.